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N°6 _ La « semi liberté » n’existe pas, détruisons toutes les prisons.
mardi, juillet 4th, 2017Elles disent, ces crapules, « qu’on peut juger une société à l’état de ses prisons. »…
Nous rétorquons « une société qui a besoin d’enfermer est elle-même une prison ».
La construction de trente trois prisons (officiellement 16 000 places) a été annoncée fin octobre 2016. Dans le Sud-Est cela représente huit taules (1). Si tout se passe selon les plans du pouvoir, une maison d’arrêt et un quartier de préparation à la sortie viendront compléter le maillage déjà dense à Marseille : maison d’arrêt des Baumettes, centre de rétention du Canet, Établissement Pénitentiaire pour Mineur-es de la Valentine, UHSI (hôpital prison) et futur UHSA (hôpital psychiatrique-prison) ; cela sans compter le restant des hôpitaux psychiatriques. La justice enferme plus, et plus longtemps : 69 000 personnes se trouvent derrière les barreaux contre 47 000 en 2001 (2). Le ministre ose affirmer que les nouvelles prisons permettront « l’augmentation de l’encellulement individuel » et « l’amélioration des conditions de détention ». Les taules qui débordent aujourd’hui ont été construites avec les mêmes arguments. Au delà de leurs mensonges et autres discours « humanistes », c’est l’existence de prisons qui est insupportable. Le fait que des individu-es soient parqué-es, contraint-es par des tonnes de béton et des salopards d’uniformes, privé-es d’air et de lumière, de chaleur et de tendresse (…) en dit long sur cette société : une prison à ciel ouvert. Je ne veux pas minimiser les différences entre « dedans » et « dehors », mais simplement dire qu’il n’y a pas de liberté possible à l’ombre d’une prison. Du mitard au bracelet électronique, du « sursis » aux travaux d’intérêts généraux, des jours-amendes au contrôle judiciaire, des cours de promenade aux murs de la ville (…) c’est le règne de la carotte et du bâton : y a toujours un degré d’enfermement plus strict pour foutre la trouille, ou quelque chose à espérer pour celles et ceux qui « jouent le jeu». Et si on lui sciait les barreaux, à l’échelle de peine misérable qui voudrait forcer chacun-e à se contenter en permanence du « moins pire » ?
L’État construit de nouvelles cages. Le « bien-être » des prisonnier-es n’a rien à voir là-dedans. Il tente d’enfermer de manière plus « sécurisée » (automatisation et vidéosurveillance à tous les étages, diminution des contacts entre détenu-es…) afin de limiter les incidents, mutineries, évasions (…) qui traversent les zonz’ en permanence. Cerise sur ce gâteau moisi: une base pour l’ERIS (équipes régionales d’intervention et de sécurité) est en projet à Aix-Luynes. Dans une période toujours plus instable, les dirigeant-es étendent et perfectionnent l’ensemble de leur arsenal répressif (prolifération d’ uniformes toujours plus matossés, lois sur la « légitime défense »…). Ils se donnent ainsi les moyens d’imposer des réformes impopulaires, la remise en cause ou la disparition du « modèle social », des énièmes restructurations du capitalisme aux millions de personnes qui rament déjà pour bouffer. Leurs buts sont clairs : garder le monopole de la violence ; serrer la vis aux révoltée-s et galérien-nes qui seraient tenté-es de se servir directement dans l’étalage des richesses ; forcer l’ensemble des indésirables à respecter la loi et la propriété (foutus piliers de ce monde de domination et d’exploitation)…
Pour maintenir leur pouvoir sur nos vies, ces charognes comptent sur la force brute, l’adhésion et la collaboration d’une partie de la population mais aussi sur la résignation et l’apathie générale. Comme si les rapports autoritaires étaient inévitables et que la démocratie et le capitalisme représentaient les seuls horizons ! Pourtant, dès qu’on cesse de l’analyser à partir du discours des médias ou des mots de l’État, cette période n’a plus l’air si uniforme. Malgré la présence de sales relents réactionnaires (patriotisme, religion…), la militarisation et la rareté d’imaginaires subversifs, offensive et fils de luttes autonomes (3) n’ont jamais cessé d’exister. L’ année dernière a été riche de ces étincelles, de moments où le ronronnement démocratique a semblé quelque peu ébranlé (bordel contre la « loi travail», explosions de colères liées au viol de Théo par les flics, mutineries, attaques individuelles et collectives qui sont venues perturber la mascarade électorale…). Ces éclats de révolte ne disparaîtront pas du jour au lendemain. Que tenter alors pour provoquer, multiplier et donner du souffle à ces moments où la normalité se craquelle, afin que leurs contenus s’étoffent pour aller bien au-delà d’une catégorie de la population, de la contestation d’une réforme (loi) particulière ou d’une infrastructure de la domination, pour tenter de remettre en cause l’ensemble de ce monde de merde ?
L’État veut toujours plus de taules… Les communiquant-es qui nous les présentent comme inéluctables « oublient » souvent de préciser qu’il faut dix ans pour ériger une prison sur un nouveau terrain. Il peut s’en passer des choses, dans un tel laps de temps ! À ce qu’on sait l’emplacement de la future maison d’arrêt marseillaise n’a pas encore été trouvé. C’est une des phases délicates pour l’APIJ (agence pour l’immobilier de la justice) forcée de se « planquer » pour éviter le rejet de la population, souvent justifié par des arguments dégueulasses. (Même les ardent-es défenseur-euse-s de la prison ont rarement envie de vivre à côté.) Nul besoin d’être couillu (4), expert-e ès sabotage, fort-e, tête brûlée, jeune et/ou valide pour signifier dès maintenant l’hostilité qu’elles méritent à ces ordures. Qui sait ce qui pourrait advenir si l’existence de la prison débordait les murs, si les (futur-es) uniformes étaient sûr-es de se faire emboucaner, si les entreprises qui participent à ces projets infâmes étaient identifiées et attaquées en tant que telles (5)?
Le sens de toutes ces tentatives, petites et grandes, ne dépend pas uniquement de leur résultat. En reprenant de la prise sur ce qui nous entoure, en faisant résonner nos idées et manières de lutter nous expérimentons des relations réciproques, basées sur le partage d’idées et de perspectives, et nous sentons palpiter nos existences, notre goût de vivre et rêves de liberté…
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Notes:
(1) 6 nouvelles maisons d’arrêt seraient implantés à Marseille, Toulon, Grasse, Nice, Avignon, Ajaccio, et deux quartiers de préparation à la sortie (QPS) à Marseille et Nice
(2 ) Sans compter les nombreuses peines dites « alternatives » (bracelets électroniques, semi-libertés, contrôle judiciaire, TIG etc).
(3) des partis, des syndicats, des médias… voir encadré machine à expulser!
(4) Contrairement à bien des idées reçues l’habileté, la perspicacité, l’hardiesse, la force ou la colère n’ont rien à voir avec la forme de nos organes génitaux. Une spéciale dédicace à tous-te-s celles et ceux qui se révoltent et ne correspondront jamais au cliché du gros guerrier viril (et accessoirement hétéro).
(5) À Orgères (Bretagne), des tags hostiles sont venus décorer la mairie, la veille du conseil municipal qui devait statuer sur l’attribution d’un terrain à l’APIJ. [Impossible de savoir si cela a eu un impact, mais l’implantation de la taule a été refusée.]
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Baumettes 3 : un chantier chasse l’autre.
Le n°3 du journal s’attardait sur Baumettes 2, chantier confié à VINCI concernant la destruction/construction de bâtiments pour la maison d’arrêt des femmes, ainsi qu’une nouvelle aile pour les détenus en préventive. Leur mise en service a finalement eu lieu, retardée par plusieurs grèves de gardien-nes réclamant des embauches supplémentaires. 700 détenus ont été transférés dans les bâtiments neufs mi-mai. Les fameuses cellules « individuelles » accueillent déjà deux personnes…. Le sinistre Urvoas, déplacé pour l’imauguration, a annoncé un nouveau chantier. Baumettes 3 concernera la destruction des derniers bâtiments des Baumettes « historiques » remplacés par une maison d’arrêt pour hommes neuve. Pendant la durée des travaux, une partie des prisonniers sera transférée à Aix-luynes 2 et Draguignan, actuellement en fin de construction. Le tout devrait être terminé en 2021 (d’autres sources parlent de 2023).
Les triples-P – Les opérations à venir seront réalisées par le biais de partenariat public-privé (PPP) : « contrats par lesquels l’État confie à un tiers (…) une mission globale ayant pour objet le financement, la construction ou la transformation, l’entretien, la maintenance, l’exploitation ou la gestion d’ouvrages, d’équipements ou de biens immatériels nécessaires au service public.» Autrement dit : l’État délègue le financement, la construction et la gestion à des entreprises qui se remboursent en percevant un loyer et en rackettant les prisonnier-es (cantines, travail.)… Il les rentabilise à fond, évidemment !
Comment ça se passe? l’Agence pour l’Immobilier de la Justice (APIJ – ministère public) lance un appel d’offre accessible uniquement aux ténors du bâtiment (pour postuler il faut avoir un gros chiffre d’affaire. En général : Bouygues, Vinci, Eiffage ou Spie batignoles). Ceux-ci ont plusieurs mois pour présenter projets et groupements d’entreprises qui seront sélectionnés, ou pas. L’entreprise choisie pour diriger la construction est appelée « maître d’ouvrage».
Le cabinet VOXOA (tristement connu pour avoir participé à la construction de la maison d’arrêt de Valence) a été désigné pour aider l’APIJ à choisir le futur maître d’ouvrage. Celui-ci, désigné au cours du premier semestre 2017, aura 43 mois (1) pour fournir à l ‘État une taule « clés en mains » (de la constitution de dossier aux autorisations administratives, des études de conception et d’exécution à la réalisation des travaux et l’aménagement du bâtiment…). Après les groupements dirigés par Eiffage (destruction des anciens bâtiments de la Maf ) et Vinci (construction et exploitation de « Baumettes 2 ») reste à voir quelles nouvelles entreprises pour faire leur beurre sur l’enfermement !
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Notes:
(1) tu trouves peut-être bizarre que ça aille « si vite » , alors que je disais dans l’autre texte que la construction d’une prison prend en général 10 ans. Une des raisons qui explique cette grosse différence c’est que dans le cas des baumettes 3 le terrain est déjà là.
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Du bordel !
Fin mai, on apprend par le torchon local que les incidents se multiplient depuis trois jours aux Baumettes « historiques »: ça a commencé le 28 avec un blocage de cours de promenade (refus de regagner les cellules). Le fait que l’ERIS (bande de molosses cagoulés chargés de mater les révoltes en détention) ait été envoyé n’a pas empêché un début de mutinerie à un étage le 29 et un nouveau blocage de promenade le 30. Selon les mange-merde des médias la colère viendrait du fait que depuis mi-mai (mise en service de Baumettes 2), les parloirs, la gestion des cantines (racket organisé qui fait que les détenu-es vont acheter des produits de consommation courante en payant une fortune) et des télés ont été confiées à des entreprises privées qui font n’imp’ et rendent le quotidien encore plus difficile… Ne laissons pas ces actes de révoltes isolés (ni les individus qui seraient poursuivis!)
Foutage de gueule. Comme d’habitude, les gardien-nes ont sauté sur l’occasion pour se plaindre et demander (par la voix des syndicats CGT et SPS – syndicat pénitentiaire des surveillant-es) plus de moyens pour faire leur sale boulot. Avec un peu de patience il-les pourront aussi accéder à un numéro vert (à gestion déléguée au privé) qui aura pour but « la mise en relation téléphonique entre un personnel en détresse psychologique et un psychologue clinicien non pénitentiaire». On leur souhaite bien du malheur !
Si tu as des infos sur les Baumettes: entreprises qui font travailler des détenu-es, ou qui gèrent parloirs, cantines et télé (mais aussi la blanchisserie…) ou sur les taules en construction (communes qui sont sur le coup, entreprises engagées dans des candidatures…) hésites pas à balancer un mail on se fera un plaisir de les relayer dans les numéros suivants.
N°6 _ « Liberté pour tou-te-s, avec ou sans-papiers ! »
mardi, juillet 4th, 2017Bref retour sur une lutte contre la machine à expulser
Pour faire suite à quelques-unes des questions posées dans le texte sur la prison (voir ci-contre), il nous semblait intéressant d’illustrer ce que nous entendons par « luttes autonomes ». Les lignes qui suivent n’ont pas la prétention de dresser un tableau exhaustif de la lutte en question, mais d’en partager certaines facettes riches de possibilités.
Cette lutte contre la machine à expulser ne sortait pas de nulle part. Elle succédait à plusieurs années foisonnantes d’agitations contre les frontières, l’enfermement des personnes migrantes (et l’enfermement tout court) et était nourrie de réflexions et d’analyses sur les tentatives précédentes et leurs « limites ».
C’est au milieu de ce contexte particulier et au lendemain de la mort d’un détenu qu’intervient l’incendie du centre de rétention de Vincennes en juin 2008. Incendie qui entraîne une baisse conséquente du nombre de rafles et un souffle de liberté considérable. Beaucoup ont accueilli la nouvelle avec un large sourire. Dans les mois qui suivent d’autres centres de rétention sont secoués par des révoltes incendiaires, comme celui de Nantes et du Mesnil-Amelot (2008), celui de Bordeaux (2009) ou du Canet à Marseille (2011), sans compter les multiples protestations et évasions…
Cette succesion de révoltes à l’intérieur des CRA alimente des colères déjà vives… Des manifestations plus ou moins larges se dirigent régulièrement vers les centres de rétention pour visibiliser ces camps pour étranger-ères et gueuler un désir de liberté avec les personnes détenues, des réseaux d’alerte tentent de perturber voir d’empêcher les rafles, des interventions ont lieu dans les aéroports pour bloquer les « reconduites à la frontière » (en incitant les passagers à refuser d’embarquer par exemple), des « balades » ont lieu dans certains quartiers contre toutes les expulsions, ainsi que des tables de presse, diffusions itinérantes de tracts…
Durant cette même période est lancée une proposition qui rompt avec les logiques basées sur des revendications adressées à l’Etat (amélioration des conditions d’enfermement, régularisation totale ou partielle, fermeture des CRA…), ou axées sur un strict « soutien aux sans-papiers » (en lutte ou non) ; et sort radicalement des mécanismes de composition avec les charognes institutionelles de gauche. Il s’agit de semer des grains de sable dans la machine à expulser, à travers l’action directe et l’auto-organisation.
De nombreux textes publiés alors insistent sur le fait que l’État, à travers la Police aux Frontières (PAF), ne fait pas le sale boulot tout seul. Des rafles et arrestations dans la rue et les transports (avec le concours des entreprises comme la RATP) aux traquenards montés dans les administrations (comme l’OFII, les préfectures et Pôle Emploi) et les banques, des « zones d’attente » dans les aéroports aux centres de rétention (1), la machine à expulser des personnes considérées par l’État comme étant « indésirables » compte de multiples rouages. Elle nécessite toute une logistique, qui elle-même a besoin d’une longue liste de participants et de collaborateurs. Ceux-ci ont été disséqués et rendus publics. En prenant ainsi le problème, on cesse de le voir sous un angle unique (les CRA comme structures à part, les rafles comme arrestations spéciales, les frontières comme simples bordures extérieures…) et on élargit le spectre des interventions possibles. En effet, les acteurs de la détention et des déportations se trouvent un peu partout, et dans différents domaines de l’exploitation, du contrôle, de la domination et de l’enfermement. Autant de raisons de leur manifester notre hostilité…
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Pour en revenir à Vincennes, plusieurs personnes accusées de l’incendie de 2008 ont été jugées et condamnées en janvier 2010. Un mouvement de solidarité s’est déployé à cette occasion, s’inscrivant dans la continuité de cette proposition. Une solidarité qui s’est manifestée dans de nombreuses villes et de plein de manières différentes, des tags, affiches et banderoles posé-es dans la rue, des manifs, balades sauvages et occupations d’agences en plein jour aux attaques et sabotages nocturnes, toujours en ciblant quelques-uns des participants à l’enfermement, aux expulsions et à l’exploitation : des associations intervenant dans les CRA, des banques, des agences intérim, la Poste, les hôtels Ibis, la Croix-Rouge, Carlson Wagon-Lits, Air-France, Bouygues, la SNCF…et bien d’autres.
Aujourd’hui comme hier (et malgré les tentatives de l’État de briser individus et offensives) il y a toujours autant de sens à saboter les rouages de la machine à expulser, à entamer des parcours de lutte proposant l’auto-organisation et défendant une perspective claire et nette: la liberté pour toutes et tous.
N°6 _ « Poulets rôtis, prix libre »
mardi, juillet 4th, 2017Pouvait-on lire le 18 mai 2016, quai de Valmy à Paris. Ce jour-là une manif contre un rassemblement de policier -es croise une patrouille sérigraphiée qui est défoncée et incendiée sur le champ. Cette fois-ci, contrairement à ce qui se passe tous les jours, ce sont les uniformes qui doivent prendre la fuite, en abandonnant derrière eux la carcasse fumante de leur outil de travail. S’il n’y a pas d’arrestations immédiates la réponse de l’état est rapide : cinq personnes sont arrêtées dans les heures et les jours qui suivent, dont quatre accusées d’avoir été présentes aux abords de la manif. Deux d’entre elles sont placées en préventive (l’un est sorti en juillet 2016, l’autre en mars 2017, tous deux sous contrôle judiciaire). En juin 2016 deux individus seront arrêtées en marge de deux manifestations différentes, puis en février 2017 lors d’une perquisition. Ces trois dernières se trouvent encore en préventive aujourd’hui. Après avoir lancé (en vain) une série de convocations, les juges Lucie Berthezene et Aline Batoz ont clôt le dossier d’instruction fin mai. Neuf camarades devraient être jugées par un tribunal correctionnel dans les mois qui viennent, accusé -es de participation à un attroupement armé ; et pour six d’entre elles et eux de violences (ayant entraîné des ITT supérieure à 8 jours) sur les flics et d’avoir « détruit par l’effet d’un incendie ou de tout autre moyen de nature à créer un danger pour les personnes un véhicule de police ». (à quoi s’ajoute un refus d’ADN pour l’un des accusés)
Laissant au charognes en toges et à leur souteneurs les catégories d’« innocent » et de « coupable », et à chacun-e le soin d’imaginer les raisons qui poussent certain -es à attaquer la police, nous avions envie de partager quelques échos à ce beau geste. La plupart des communiqués trouvés sur internet situent ces attaques dans une conflictualité sociale plus large et envoient des saluts solidaires à d’autres compagnon -nes incarcéré -es en France ou ailleurs.
En mars et avril 2017 deux rassemblements ont eu lieu devant la taule de Fleury-Mérogis (où sont incarcéré-es certain-es des inculpé-es). L’un et l’autre ont réuni une cinquantaine de personnes, et ont perturbé plusieurs heures durant le train-train macabre de la zonz’ (échanges de cris et de sloggans avec les emprisonné-es « les prisons en feu, les matons au milieu » « flics, matons, militaires, qu’est-ce qu’ils feraient pas pour un salaire (ou devenez tous suicidaires) » « Solidarité avec les inculpé-es des voitures brûlées » « Crève la taule » (etc etc) ainsi qu’une banderole « Solidaires dans la lutte, solidaires face à la répression. À bas toutes les prisons !»
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Le 10 février entre Livron et Allex (Drôme), des « rats des champs » incendient deux caisses du front national et laissent un « sale facho » sur la façade. A Toulouse la même nuit ce sont une voiture d’agence immobilière et un tractopelle Eiffage (constructeur de prisons) qui se consument d’un feu solidaire. Fin février à Marseille, un DAB est cramé (la poste rue Lacédémone) le communiqué envoie « Un salut plein de chaleur à toutes les personnes qui sont descendues dans les rues ces dernières semaines (et avant !) pour s’attaquer à la police, à la justice, et à ce qui leur pourrit la vie de façon plus générale ». Mi mars à Grenoble, ce sont deux banques qui sont défoncées en solidarité. Fin avril à Rennes (35), des « noctambules » attaquent deux églises à coup de marteaux « nous crachons sur leur vision de la famille, du couple et de la sexualité ». À Bagnolet (93) début mai, un utilitaire Vinci part en fumée tandis que d’autres profitent d’un relatif sursis (« Un utilitaire sodexo (gère la bouffe dans de multiples taules), une voiture ENGIE ( dont la filiale GEPSA est le partenaire privilégié pour la gestion des taules), et une JC decaux (qui, en plus de nous imposer des pubs a chaque coin de rue, exploite les prisonniers en les faisant réparer des velib’) nous ont fait de l’oeil, mais en manque d’allume feu nous avons crevé leurs pneus (…). On reviendra plus matossé-e-s »). Le 19 mai à Rennes (35), un utilitaire d’Enedis sert de bougie d’anniversaire… « On avait aussi une pensée pour la personne que les flics soupçonnent d’avoir jeté le fumigène et qu’ils cherchent toujours. ¡Huye, hombre, huye ! ».
Ne laissons pas la justice se faire en silence. La solidarité c’est l’attaque!
N°6 _ Combustion -versus- réinsertion…
mardi, juillet 4th, 2017[communiqué trouvé sur indymédia nantes]
Dans la nuit du 28 au 29 mai, nous avons incendié deux véhicules sur le parking de l’entreprise Atout Bois (49 avenue Anatole France), et tagué sur le mur à côté Le travail ne rend pas libre et Nique la Justice.
A en croire ses intentions, cet établissement, administré par la PJJ (Protection Judiciaire de la Jeunesse), protège et accompagne les jeunes pris dans les griffes de la Justice.
Obéis à un patron, soumet toi à la hiérarchie, respecte l’autorité, reste dans le chemin de la loi, accepte la main-mise d’un juge sur ta vie : l’avenir radieux du salariat s’ouvre à toi. Débrouille-toi par toi-même, refuse les règles que tu n’as pas choisi, refuse d’être un maillon au bout de la chaîne de la production, d’être corvéable à merci, rebelle toi, et d’un commun accord, ces bienveillants tuteurs de ta vie (juges, éducs’, patrons) t’ouvriront grand les portes du pénitencier.
Le travail et la prison sont deux piliers essentiels du contrôle social, nécessaires à la reproduction d’un monde basé sur l’autorité et l’exploitation.
Le travail est la meilleure des police et la réinsertion un chantage. Le sabotage enraille la machine de l’exploitation et libère du temps.
Nous faisons le pari qu’il y a bien plus de joie dans la révolte que dans une vie de soumission.
Liberté pour les inculpés dans l’affaire de la voiture de flics brulée le 18 mai 2016.
Liberté pour tous. »
N°6 _ Contre les flics en blouse blanche, pas de repos pour les collabos !
mardi, juillet 4th, 2017(Lannion, Côtes-d’Armor)
Dans la nuit de mardi à mercredi, le cabinet de radiologie de la polyclinique de Trégor a été pris pour cible : des vitres ont été brisées et la façade taguées d’un « Bonfils collabo ».
Cette action visait particulièrement Remy Bonfils, médecin légiste et radiologue connu pour pratiquer des tests osseux au service de l’état. Cette action cherche à mettre en lumière les actes de ces flics en blouse blanche, acteurEs trop souvent oublié.e.s, de la repression.
Ces tests, aussi intrusifs qu’humiliants, comportent des radios pour étudier la calcification des os du poignet ainsi que des examens approfondis du corps (palpation des seins, prise du poids, de la taille, examen de la dentition et de la pilosité, …).et servent à expulser et enfermer celleux qui sont considérés comme majeur.
Parce que les medecins sont au service des technologies du contrôle et de la surveillance. Parce qu’ielles servent l’état et ses logiques sécuritaires. Parce que sous couvert d’éthique, leur déontologie leur permet de se déresponsabilisé de leurs actes. Parce qu’iels cherchent à faire rentrer nos corps dans des normes sociales et morales en particulier en ce qui concerne le corps des femmes et la reproduction. Parce qu’ielles cherchent à étouffer nos « déviances » à coups de cachetons et de diagnostiques. Parce qu’ielles travaillent main dans la main avec les entreprises pharmaceutiques et tous les acteurs des projets mortifères sur des humains et non-humains (recherche adn, génétique, biotechnologie, …) et cherchent à faire rentrer toujours plus de technologies dans nos vies et dans nos corps.
Parce qu’iels pensent savoir ce qui est bon pour nous.
Iels ne sont pas neutres, iels sont responsables et sont nos ennemis, le silence de la pacification a assez duré.
Attaquons les partout, elleux et les entreprises où ielles travaillent.
Par ces actes nous exprimons aussi notre solidarité avec les personnes qui font le choix de la critique par l’attaque.
Solidarité et couRAGE aux compagnon.e.s qui ont mené l’offenssive, sans médiation contre les rouages matériels du contrôle des personnes avec ou sans papiers. Ielles sont aujourd’hui accusées de plusieurs attaques (notamment) contre la construction d’un centre de retention à Bruxelles et contre le monde qui les produit.
N’attendons pas demain pour mordre la main de celleux qui s’érigent en maitre et expert. Déchainons nos corps et nos envies.
Quelques joyeuses enragées contre le monde et son monde
Indy Nantes, 23 décembre 2016
N°6 _ Les « tas » d’urgences
mardi, juillet 4th, 2017Je veux choisir les moments où je suis attrapable. Mon téléphone était devenu au fil des mois la caisse de résonance de paniques que je ne pouvais pas apaiser, de tempêtes qui m’aspiraient avant que j’ai eu le temps de dire « ouf », ni de me demander ce que j’étais en mesure de recevoir (ou non). Ce que vivait une proche faisait angoisses. Peur qu’elle ne disparaisse ou ne meure (sans l’avoir choisi) entre les mains d’un énième connard. Était-ce encore si rassurant de la savoir vivante? J’ai cessé de suivre en direct (et par l’intermédiaire d’autres) des situations sur lesquelles je n’avais pas de prise. Je ne pouvais rien empêcher. D’autres formes de présences ont pris le relais, davantage interrogées, consenties et ponctuelles. La boule d’angoisse, de colère et de questions est restée. Il m’a fallu inventer des en-dehors où relâcher/décharger cette tension. Moi aussi j’étais partie loin.
« Si tout va bien pourquoi pas vous? » Malgré les (bonnes) raisons de ne pas pouvoir ni vouloir s’insérer dans ce monde anxiogène, une cohorte de b(l)ouses blanches et charognes de tous poils tentent de nous faire porter la responsabilité de nos mal-êtres et « dysfonctionnements ». Mais ça voudrait dire quoi « être adapté -es » à part anesthésier sa sensibilité (le fait de vivre entassé -es en métropole n’arrange rien) ; planquer ses zones de fragilité pour avoir l’air fort ou normale (gare à l’hôpital psy si t’ arrives plus à donner le change) ; amputer sa personnalité pour correspondre à des normes sociales et rôles prémâchés (citoyen -ne, travailleur -euse, daron -ne…).
Il n’y a rien d’étonnant ou de honteux à ce que ça « craque » si souvent dans nos tronches. Quand t’es dans ces moments-là et que la vie d’un-e proche est menacée, difficile de s’extraire des temporalités et du rythme imposés par l’urgence. Il me semble que c’est nécessaire, autant pour éviter de projeter sur l’autre nos propres angoisses, blocages, mécanismes de protection (et inversement) que pour identifier et limiter l’influence de réflexes conditionnés, de réactions épidermiques et/ou de fragments de construction genrée. En tant que femmes (et parfois mères) le patriarcat assigne aux meufs un rôle de « spécialistes » du soin vis-à-vis de l’entourage. Une injonction sociale tellement forte que dans bien des situations la possibilité de faire autre chose n’existe pas. Ah… Les figures de Femme ou de Mère, fortes et courageuses, si valorisées lorsqu’elles se sacrifient ! (T’en as vu beaucoup des types se sentir mal de ne pas être suffisamment présents, toi?). Si l’on ne prends pas le temps de souffler ni de cerner nos enjeux comment être clair-es (et dans une forme de « justesse ») par rapport à notre disponibilité? (1) Le fait de poser des limites à la présence, au soutien qu’on peut apporter (quitte à décider de ne pas les respecter, ou de les cramer carrément) te semble potentiellement froid, dur ou tissé d’indifférence. Dans bien des cas c’est pourtant ce qui permet d’être là dans la durée, et de ne pas foncer tête baissée en reproduisant tout un tas de schémas autoritaires qui tendent à déposséder l’autre de ce qui lui arrive et des moyens d’y faire face. ( l’entourage considère souvent que la personne « en crise » n’est plus en mesure de savoir ce qui est bon pour lui ou pour elle, et balaye ainsi la question de son consentement et de son intimité).
Les questions posées par ces situations de « craquage » émotionnels et/ou psychiques sont liées étroitement à la manière dont on conçoit, tisse et alimente nos relations, jour après jour. Si par temps calme on rend présent ce qui fait souffrances, une (partie de) ce qui nous (é)meut, si l’on partage quelques uns des sentiments et réflexions foutraques qui se cachent derrière nos « ça va » de surface, ça devient plus simple de se comprendre quand tout déborde. Si personne ne peut répondre à tous les besoins ou toutes les envies de l’autre, ni le ou la « sauver », quelles distances, quelles intensités qui ne soient pas fusionnelles, exclusives ou basées sur une (prétendue) disponibilité permanente ? Hors des relations « amoureuses » (ou de couple), quels espaces crée t-on pour déposer une partie de nos carapaces, approfondir certaines relations, se toucher vraiment ? Si l’on admettait enfin que l’on est pas (seulement) des guerrier -res en titane, ça ferait de la place pour se demander comment s’accompagner (y compris) dans ces moment-là, de parler de nos rapports à la folie (à l’institution psychiatrique, aux médicaments, à la famille qui souvent représente une menace supplémentaire…), d’ inventer des stratégies pour s’assurer du consentement de chacun-e quand tout s’accélère, ou que la parole fait défaut (2)…
J’ai abordé jusque-là les choses par un angle très spécifique. L’impression de courir derrière des événements qu’on ne maîtrise pas ou peu, d’être ballotté -es de toutes parts et de n’avoir que peu de temps « libéré » de contraintes (familiales, professionnelles ou liées à la survie….) semble occuper une place énorme dans le quotidien de la plupart des gens -tes que je croise. Lorsqu’elles ne sont pas balayées par un sentiment d’urgence qui traverse tellement de situations qu’il cesse d’être une question strictement individuelle pour devenir quelque chose de plus structurel, un phénomène qui pèse et pourrait empêcher (entre autres) la révolte. Quand t’as le nez sur le guidon, c’est pas le moment où tu es le-la plus lucide pour réfléchir à ce qui se trame… « En avant! En avant! » mais pourquoi et pour aller où ? De quelle manière et pour y faire quoi? Eh toi, est-ce qu’il y a des compagnon -nes de route (3) pour te toucher, t’accompagner, t’aider à faire le tri (et parfois te ramener au sol) quand un tourbillon te tombe sur le coin du nez ?
Un tag de 68 lançait « on s’arrête on réfléchit ! ». Alors que relations et emplois du temps se vivent de plus en plus souvent en « flux tendus » (jamais complètement dans tes baskets, le regard tourné vers le rencard suivant) la proposition me semble encore pertinente. Ouvrir des respirations, des espaces vacants ou de solitude dans ses journées, comme autant d’occasions de prendre du recul vis-à-vis de ce qui nous brasse, d’affiner idées et perspectives, a souvent une allure de défi. Il se pourrait que ce soit un premier pas pour se positionner en tant qu’individu et rompre avec le sentiment d’écrasement liés à la répression, à la multiplication des projets du pouvoir, aux situations de « craquage »… Cela me fait sens et envie de dégager cette disponibilité -là, dans l’absolu et pour les fois où je décide d’être là pour un-e aimé-e, quand je décide de galoper au rythme de mes colères, celles qui me donnent de la prise sur ce qui m’entoure au lieu de me déposséder, et me sentir un peu plus vivante. Et si « prendre-soin » c’était aussi sortir de ce présent permanent, nourrir projets, imaginaires et perspectives de luttes qui inventent leurs propres temporalités?
Il reste encore beaucoup à tenter.
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Notes:
(1) Il n’y a pas de « super-héroïne » désintéressé-e, et c’est très bien !
(2) Et pour revenir à la répartition genrée des rôles c’est bien joli d’être capable de parler de sujets techniques ou de politique pendant des heures mais si tu esquives dès qu’il s’agit d’intime, de faire gaffe à tes amis garçons ça a quel sens ?
(3) Tu l’as sans doute compris, nous appellons compagnon-nes les (rares) individus avec qui nous partageons des bouts d’affinité, de projets de lutte mais aussi une connaissance réciproque (qui s’approfondit sans cesse) et du prendre soin. Plutôt compagnon-nes que collègues!
N°6 _ Une question de regard(s)
mardi, juillet 4th, 2017Les yeux grands ouverts, la plupart du temps.
Le regard saisit tout un tas de faits se déroulant dans l’environnement proche, et au-delà.
Lecture des informations. Telle ordure envisage de pondre une énième loi dégueulasse, telle autre fait une déclaration sur les projets de son entreprise de merde. La mémoire retient leurs noms et ce à quoi ils-elles œuvrent, les classant dans la catégorie « nuisibles ».
Encore embrumé par le sommeil, déjà agressé par les premiers bruits de moteurs passant dans la rue. Premiers pas dehors : les yeux sont heurtés par tous ces panneaux électoraux aux quatre coins du quartier. Des tronches de crapules sont venues remplacer celles arrachées la veille. Elles disent : « la France en marche, apaisée, en ordre, ensemble, forte, tranquille, insoumise…». Vomi.
Je passe mon chemin, lassé, et me promets de repasser plus tard, un peu plus éveillé.
Alerté par les cris aux alentours : « Tu avances maintenant sinon on rentre à la maison ! Tu veux une fessée?! ». Je connais bien cette scène, et mon ouïe s’y est -presque- habituée. Hier c’était une personne aboyant sur un chien tenu en laisse, avant-hier c’était un type mettant la pression sur une meuf qu’il considère comme « la sienne ». Avant un-e autre adulte exerçant son pouvoir sur un-e autre gamin-e. Ailleurs ces keufs contrôlant des personnes posées dans un square.
Mon regard n’est pas toujours acéré alors, et lorsqu’il l’est, je cherche à marquer une hostilité envers la personne dominante, à lui signifier qu’elle fait de la merde. Qu’avec moi il n’y aura aucune « solidarité » entre mecs ou entre adultes. A la personne sur qui la domination (adulte, patriarcale, étatique…) tente de s’exercer, un signe qu’il y a de l’attention à ce qui est en train de se passer, qu’elle n’est pas seule face à la personne qui l’oppresse, que cela ne fait pas indifférence, qu’il y a possiblement moyen d’intervenir d’une manière qui le fasse pour elle. Et c’est encore mieux lorsque des mots viennent accompagner le regard.
Tout est fait pour que l’attention ne se fixe pas. Qu’il y ait toujours plus urgent à faire que s’arrêter et réfléchir, voir agir : un bus à attraper en vitesse, le magasin qui va bientôt fermer, un rendez-vous à Pôle emploi, ou au taf, des flics qui t’ordonnent de « circuler », parce qu’il n’y a « rien à voir », et des connards de mecs qui te disent : « T’as un problème ? bouges de là ! » quand ils embrouillent une meuf.
Même le regard le plus affûté ne fait pas tout. On peut observer et lire tout un tas de choses qui nous renseignent sur l’état lamentable du monde et la reproduction quotidienne des relations sociales existantes, en apprendre plus sur leur fonctionnement, leur mécanique apparemment si bien huilée, ceux qui en sont responsables à différents niveaux, et… Et ne rien en faire, car noyé-es sous une masse trop importante de faits indigestes, qui ne fait que creuser un peu plus nos rides, blanchir nos cheveux, fatiguer nos esprits, nous assombrir à petit feu. Et sentir la peur nous imposer ses limites, et voir ces limites comme étant indépassables.
A ce stade, la résignation risque d’étouffer la révolte intérieure, le cynisme menace de remplacer la colère, la réflexion pourrait s’émousser et laisser la place à une monotone et solitaire rumination, à avaler son dégoût plutôt que de le cracher à la gueule des affreux-ses.
Si je parle tant du regard, c’est aussi parce que ma peau ne subit pas directement les coups de la domination, ou très rarement. Exceptés peut-être les questions inquisitrices des flics sociaux RSA, et celles des flics tout court lors de gardes-à-vue. Je ne dois pas affronter les regards, les coups et remarques racistes et/ou sexistes dans la rue, au travail, ni dans la cage d’un foyer. Je ne suis que très rarement (pour l’instant) soumis au bon vouloir d’un patron. Je ne suis plus en butte aux remarques des profs sur mon manque d’efforts en classe, ni à celles de mes parents pour finir mes devoirs de math. Mon estomac n’est plus pris de cette anxiété propre aux longues journées cloîtré dans les casernes soft de l’Éducation Nationale. Il est maintenant rongé par d’autres anxiétés.
Le temps que je dégage par ma modeste résistance au travail est un temps que je passe à lire, à voir, à réfléchir et à réagir à ce qui m’entoure (et me pénètre en partie, malgré la carapace façonnée au fil des ans).
Les réelles bouffées d’air sont rares, vite rattrapées par l’atmosphère étouffante de cette époque qui voudrait même annihiler notre capacité à imaginer, à rêver d’autre chose. Parfois on ne veut même plus voir, on veut fuir, chercher un horizon en pensant que là-bas c’est beau. Mais là-bas il y a un autre tractopelle, une autre ligne THT, une autre marée de pétrole brut, une autre frontière. Ce monde est dessiné par des gens de pouvoir. Ils nous imposent son image, ils nous veulent stupéfait-es devant le tableau des horreurs, comme pétrifié-es.
Mais nous pouvons choisir en partie ce vers quoi nous orientons notre regard. Ne pas juste voir l’inertie ambiante, voir ce qui continue de bouger. Ne pas juste voir la prison, mais aussi les évasions et les mutineries. Ne pas juste voir l’adulte qui voudrait dresser un-e gamin-e, voir le regard pétillant d’insoumission de celui-cette-ci. Ne pas juste voir la répression, mais faire en sorte qu’elle ne puisse pas tout empêcher. Ne pas juste voir le mur et l’impasse, chercher la brèche et la voie de passage. Ne pas juste voir la fin d’une lutte, mais le bout de chemin qu’elle a ouvert, voir la révolte qui continue ailleurs.
Il y a une grande différence entre voir et regarder. Allons regarder, à la recherche de nouvelles possibilités.
Il y a tout un tas de choses très utiles au pouvoir, qui ne sont pas tant cachées, mais qui sont censées rester inaperçues : elles sont là et puis c’est tout. Là, il y a une trappe ; dans cette trappe des fils qui courent sous le trottoir, le long de la voie de chemin de fer, qui courent en haut de ce poteau, qui courent depuis ce transfo, jusqu’à ce big data. Qu’y a t-il dans ce big data, en haut de ce poteau, dans cette boite beige en plastique, derrière cette grille et ce bâtiment en verre ? Qu’y a t-il sur ce parking ? A quoi sert tout ça ? Qui entretient tout ça ?
Là, ça a l’air calme maintenant, pas de passant-es, pas de bruit de moteur à proximité, pas de reflets de phares, juste la complicité dans tes yeux. C’est bon, tu ne vois rien venir ? C’est l’espace à saisir, hop !
« Merde, tu as l’air épuisé ce matin ! »…